L’année de  césure : quelles pratiques en Europe ?

Dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, il est possible de prendre une année de césure après le baccalauréat et de ne pas commencer ses études supérieures juste après le secondaire. Les activités réalisées pendant ce temps sont alors diverses : travail, activités de bénévolat ou de volontariat, cours et apprentissages divers, voyage…Cette pratique est cependant plus ou moins répandue selon les pays…
Pratiquée par la majorité des jeunes dans certains pays nordiques (70% la pratiquaient en 2016 au Danemark), elle est assez courante en Allemagne (environ 30%), au Royaume-Uni (11% en 2010) ou en Irlande. Cette expérience existe à minima dans certains pays (Belgique, Bulgarie, France, République tchèque, Roumanie, Slovénie) mais on ne dispose pas de statistiques précises à ce sujet. Il semble qu’elle tendrait à se développer dans certains états (Italie, Luxembourg). Par contre outre Atlantique, cela ne concernait que 2,2% des américains en 2015.
Aucun cadre règlementaire ne précise les conditions ni le statut du jeune en césure qui n’est pas considéré comme étudiant et ne perçoit pas d’aide spécifique. Tout au plus, il conserve la proposition d’inscription reçue dans l’enseignement supérieur en reportant sa rentrée d’un semestre ou d’un an (Royaume-Uni).

Deux possibilités se dégagent :

  1. Soit les jeunes prennent la décision d’une césure après le bac, sans s’inscrire dans l’enseignement supérieur au préalable. Ils reportent le début de leur entrée dans l’enseignement supérieur.
    C’est la pratique la plus courante.
  2. Soit ils demandent un report de rentrée, une fois admis dans un établissement d’enseignement supérieur. Le portail d’inscription dans le supérieur PARCOURSUP offre cette possibilité dès le dépôt des candidatures.

La première pratique est la plus courante. Généralement, la césure ne pénalise pas l’étudiant qui souhaite s’inscrire dans l’enseignement supérieur ensuite et peut parfois l’avantager selon la nature de l’expérience pendant cette période (ex : stage dans le social ou l’enseignement en Allemagne).

En 2014, la seconde pratique concernait notamment 27 355 jeunes britanniques sur  512 370, soit un peu plus de 5% des candidats qui cherchent à intégrer le premier cycle.
Dans des pays comme la Suède, demander un report des études n’est cependant possible que dans des cas exceptionnels (social, médical).

En Allemagne, une année de césure après le secondaire peut être mise au profit d’activités de volontariat -programmes européens ou allemands- alors que pendant les études, la césure est plutôt l’occasion de faire un stage ou d’étudier à l’étranger avant de se spécialiser en master. La fréquence de césures après le Gymnasium (lycée) s’est considérablement accrue quand on a raccourci d’une année la préparation de l’Abitur au début des années 2010 dans la plupart des régions, les élèves ne se sentant pas prêts à faire des choix d’orientation réfléchis. Après cette interruption dans la scolarité, les lycéens allemands commencent leurs études, très peu restent à l’étranger ou en Allemagne sans activité. Lorsque la césure est passée à l’étranger, le gain en maturité et en expérience est apprécié positivement mais il n’y a pas de données chiffrées sur cette thématique. (source : Euroguidance Allemagne)

Les étudiants belges n’ont pas coutume de mettre une césure avant de commencer leurs études car le cursus est envisagé comme un continuum et très peu d’étudiants prennent réellement une année sabbatique entre deux cycles d’études, voire durant leur cursus.  Il est plus courant d’envisager une année Erasmus à l’étranger pendant ses études, ce qui n’est pas considéré comme une « césure ». Selon l’ARES (Académie de recherche et d’enseignement supérieur), on constate une différence de 5 à 6 % entre le nombre d’élèves qui ont quitté le secondaire supérieur et ceux qui entament des études supérieures ou universitaires mais aucune étude n’a identifié ce que font ces 5 à 6 % d’élèves qui ne poursuivent pas leurs études.

Au Danemark, après avoir atteint un pic de 80% de jeunes en césure après le secondaire en 2008, ce chiffre correspondait à environ 70% de la population en 2016 et tend à baisser progressivement. Les jeunes danois partent en césure lorsqu’ils ne sont pas acceptés dans la filière d’études qu’ils ont choisie (les critères d’accès sont devenus plus stricts) ou lorsqu’ils ne sont pas prêts à faire un choix d’orientation. C’est l’occasion pour eux de voyager, suivre une formation pour adultes, travailler ou participer à des actions de volontariat. Ce type d’expérience a pour effet de leur permettre de mieux se connaître et de développer leur maturité pour mieux gérer ensuite leurs études. Selon les activités réalisées pendant cette période, cela peut favoriser leur admission ultérieure dans certaines filières d’études. Néanmoins, si ce phénomène enregistre actuellement un ralentissement, c’est que depuis 2013, le gouvernement danois a mis en place un système d’allocation financière pour récompenser les parcours d’études réalisés sur une durée courte, proportionnelle au temps gagné. En même temps, les sortants du secondaire ont leur moyenne scolaire multipliée par 1,08 pour favoriser leur accès à l’enseignement supérieur. La qualification de jeunes sur un délai court permet en effet de les voir plus rapidement disponibles sur le marché du travail. Or le Danemark recherche notamment des jeunes ayant des qualifications professionnelles. Enfin, en terme d’impact sur le décrochage scolaire, une étude de l’université de Aarhus (2008 – 2015) a montré que les jeunes partis en césure sont moins décrocheurs dans l’enseignement supérieur (18%) que ceux qui ont suivi des études sans cette expérience (27%).

En 2018, seuls 31% des candidats à l’enseignement supérieur ont obtenu une place. De fait, 69% doivent prendre une année sabbatique (« välivuosi ») pendant laquelle ils travaillent, partent étudier à l’étranger, participent à du volontariat, voyagent ou se préparent pour le prochain tour d’admission dans l’enseignement supérieur en s’inscrivant à des cours à distance (la plupart des étudiants doivent passer un examen d’entrée à l’université). Sinon, faire une césure pendant les études n’est pas une pratique courante en Finlande, hormis pour des raisons familiales ou de santé. Au niveau de l’admission dans l’enseignement supérieur, les étudiants venant directement de l’enseignement secondaire sont légèrement avantagés. La Finlande n’a pas réalisé d’étude statistique ni de recherche précise à ce sujet.

Dès 2010, les britanniques constataient l’augmentation des expériences de césure en parallèle à l’accroissement du nombre d’entrées dans le supérieur  (+5,6% sur  5 ans). Dans le même temps, la promotion médiatique pour la « gap year » s’est accrue ainsi que le développement d’une « gap year industry ».

En dehors de l’Union européenne, certaines universités américaines -notamment les Ivy League (ex : Harvard)- encouragent depuis plusieurs décennies cette pratique. Les étudiants mettent ce temps à profit en le divisant en différentes expériences (travail, volontariat, voyage, …)


En 2012, un rapport britannique a été réalisé sur le thème de l’année de césure (« gap year ») avec un focus sur les motivations sous-jacentes, les activités réalisées et surtout sur les effets à long terme de cette expérience. Il s’appuie sur deux études de cohortes de jeunes sortis du secondaire en 1989 (BCS)  et 2009(LSYPE).L’étude LSYPE suit des jeunes ayant suivi une Gap year répondant aux critères retenus par les autorités éducatives britanniques : on considère qu’un étudiant est en césure s’il respecte toutes les conditions suivantes :
– a terminé et validé le cycle secondaire
– a posé des candidatures dans l’enseignement supérieur, a reçu des propositions et en a accepté une.
tandis que l’étude BCS suit une cohorte de jeunes nés en Grande-Bretagne en avril 1970, dont certains seulement ont fait un « break ».

L’étude de 2009 distingue  2 groupes de jeunes parmi ceux qui ont pris une césure :
– ceux qui avaient planifié leur césure à l’avance, ils avaient accepté une place à l’université au préalable. Ils partent plutôt en mobilité à l’étranger. Ils tendent à avoir un objectif initial plus élevé, sont issus d’un milieu socio-économique plus favorisé et ont le profil d’étudiants à l’université. En 2012, ils constituaient 7% des jeunes sortis du lycée et 89% de ceux qui ont fait une césure au cours de leurs études.
– ceux qui prennent une césure de façon inopinée. Ils n’ont pas posé de candidature ni accepté une place à l’université avant de faire un break. Ils ont tendance à travailler ou à étudier à temps plein pendant ce temps. Ils viennent d’un milieu socio-économique moins élevé et sont moins nombreux à rejoindre l’université à la fin de la césure.

Quel que soit le groupe, les jeunes qui prennent un temps de césure ont moins d’attentes par rapport aux apprentissages, ont moins confiance en eux et présentent plutôt un locus of contrôle externe (ce qui leur arrive n’est pas particulièrement considéré comme le résultat de leurs actions). Ils adoptent plus facilement des comportements à risque (consommation de cannabis par exemple). 80% des jeunes ayant vécu une césure travaillent à un moment au moins pendant cette période. Les autres activités exercées sont : le voyage, le volontariat dans le pays ou à l’étranger, la formation, la repréparation d’examens  ou le travail à l’étranger. Seuls 3,7% entrent dans la catégorie « NEETs » (ni en emploi, en formation ou en étude). Globalement, le premier groupe rejoint l’enseignement supérieur dans les mêmes proportions que ceux qui n’ont pas fait de césure. Par contre, ils sont moins nombreux à rejoindre l’université ensuite quand ils n’ont pas réservé leur place avant de s’arrêter (40% des cas) et quand la césure n’avait pas été anticipée dès le lycée (28% des cas). Cette décision pourrait dans leur cas s’expliquer par des résultats plus faibles que prévus aux A-levels ayant perturbé leur projet d’études dans le supérieur.

Dans cette étude, il n’y a pas réellement de différence de caractéristiques entre les jeunes qui ont pris une césure et ceux qui sont allés directement à l’université, hormis sur les matières suivies au lycée. Ceux qui  ont suivi : sciences, technologies, ingénierie, mathématiques font moins souvent une césure et rejoignent directement l’université.
Lorsqu’ils reprennent le cours des études, ils tendent à mieux réussir leurs examens (+1,6%) et rejoignent des universités mieux classées dans les palmarès (44% contre 37% pour ceux qui n’ont pas fait de césure) (source : Euroguidance Royaume-Uni)

Dans l’étude de 1989, en terme de salaire on remarque qu’à âge égal (30, 34 et 38 ans), ceux qui ont pris un temps de césure gagnent globalement moins que ceux qui n’en ont pas pris (8,9%, 9,8% et 6,5%). L’explication avancée est qu’une expérience de travail avant le diplôme n’a pas d’impact sur le salaire, et qu’à 30 ans, il y a une différence d’expérience sur un poste qualifié plus importante en faveur de ceux qui sont allés directement à l’université. C’est aussi le fait du groupe de jeunes ayant fait une césure sans l’anticiper. Dans cette étude, les étudiants considérés n’ont pas tous rejoint l’enseignement supérieur ensuite.

Si les deux études sur lesquelles le rapport s’appuie donnent des résultats sensiblement différents, c’est aussi parce que les échantillons de population le sont également.

La procédure britannique d’inscription dans le supérieur permet à l’étudiant très facilement de retrouver sa place dans l’enseignement supérieur l’année suivante. La césure peut durer jusqu’à 3 ans mais en moyenne, elle s’étend sur 1 ans et 4 mois.
Globalement, le rapport britannique n’est pas défavorable à l’année de césure mais encourage son anticipation et l’inscription préalable dans l’enseignement supérieur.

En conclusion, prendre du temps hors des études peut être bénéfique sous certaines conditions : apporter des compétences nouvelles (professionnelles ou transversales) et renforcer la confiance en soi à court ou à long terme pour celui qui l’expérimente. Par conséquent, l’intérêt de la césure dépend principalement de ce qui est fait pendant cette période et comment l’individu le ressent.